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CETTE SENSATION


Ça m’arrivait de plus en plus souvent. Pourtant, je n’arrivais toujours pas à mettre des mots sur cette sensation. Un sursaut intérieur ? Une seconde d’inattention ? Une absence ? Une dépersonnalisation ? En tout cas, ça me perturbait. Ce que j’avais réussi à déterminer, c’est que ça m’arrivait quand j’étais très fatiguée, et ça pouvait arriver à n’importe quel moment de la journée. L’explication la plus plausible était un manque de sommeil. J’en avais évidemment fait part à mon mari quelques jours après. Nous avions décidé d’acheter du thé pour m’aider à dormir.


Les jours passaient et cette sensation restait. Elle restait, et en plus, elle s’accentuait. Ça arrivait que j’en ai plusieurs d’affilés. Au bout de la première semaine, j’avais décidé de les comptabiliser dans un petit carnet. Au bout de trois semaines, je pouvais déterminer une moyenne par jour : douze. Le thé n’avait aucunement apaisé cette sensation particulière.


Pour dire vrai, je m’y étais même habituée et je paniquais lorsque ça faisait trop longtemps que je ne l’avais pas ressenti depuis un moment. Pour le reste, je vivais ma routine tranquillement. Mon travail me prenait beaucoup de temps et ma vie amoureuse beaucoup de passion. Une vie comme une autre, sans trop de stress.


Ce fut pour cela que je n’avais pas compris la cause de mon premier malaise. Lorsque je m’étais réveillée, je m’étais retrouvée sur le canapé, les jambes relevées. Mon mari était au-dessus de moi, le téléphone à la main, collé contre son oreille. Il bougeait les lèvres, mais le son n’arrivait pas encore à mes oreilles. Il était livide et faisait visiblement de l’hypertension. Je clignais à plusieurs reprises des yeux avant de réellement me situer. J’étais chez nous, en sécurité.


Après quelques minutes à nous rassurer mutuellement que ça allait, je lui avais fait part d’un drôle de rêve. Un rêve où j’avais été à l’hôpital. Un rêve où plusieurs paires de yeux m’observaient, des larmes coulant sur les joues. Je m’étais demandée pourquoi ils pleuraient. Mais le rêve s’était arrêté là, dans un retour à la réalité.


J’avais mis plusieurs minutes, voire plusieurs heures à m’en remettre, à m’ancrer dans mon environnement, et je n’arrêtais pas de parler de ce rêve. Il préoccupait mes pensées. Il avait semblé si réel. Le soir même, plongée dans mon petit carnet, je voyais le visage tendu de mon mari. Il aurait préféré mille fois m’envoyer en observation dans une chambre. Je le sentais et malgré moi, son regard m’étouffait.


Alors que cette sensation n’était pas venue me voir depuis le malaise, elle se déclencha à plusieurs reprises. Je fis comme si rien n’était, ne voulant pas alerter mon mari. Pourtant, mon corps criait à l’aide. Depuis notre rencontre, elle avait été indolore, mais là, je souffrais. Je crispais mes mains, tenant fermement mes draps. Mon mari passa une main chaude sur mon poing, et… sourit ? Lui, qui avait été si tendu, osait sourire ? Il s’approcha de moi et me chuchota deux mots. Deux simples mots qui firent écho pendant quelques secondes : « Réveille-toi ». Je me vis hurler, mais aucun son ne sortit de ma bouche. Je me vis bouger, mais aucun de mes muscles ne répondirent. Je me senti partir. Je fermais les yeux. Je me sentais flotter, dans une profonde obscurité. Cette sensation, celle-ci, de flotter, me semblait familière. Ça me parut long, jusqu’à ce qu’enfin, je sente mes doigts bouger, mes orteils se frotter entre eux, et une douce luminosité se poser sur mes paupières.


Je clignai des yeux quelques secondes avant de réussir à m’ancrer. J’avais l’impression d’avoir voyagé. J’étais revenu à cet hôpital. Une paire de yeux m’observait, émue. Une main chaude se posa sur la mienne. Et je compris. Je compris tout en l’espace d’une seconde. J’avais été dans le coma et je venais enfin de me réveiller. Et l’homme à mes côtés était mon mari. Je fus prise d’une migraine instantanément. Je tirais une grimace, qui inquiéta l’homme que j’aime, puisqu’il serra tendrement ma main.


Malgré mon impatience de me retrouver, il me laissa du temps. Et lorsqu’il partait quelques minutes, voyant que je me perdais intensément dans mes pensées, je savais qu’il était derrière la porte, à essuyer ses yeux humides. Nous savions tous les deux que notre reprise allait être délicate.


Une semaine passa avant que je ne puisse sortir. On m’avait fait des prises de sang et mesurer mon poids, ainsi que ma force musculaire. Le jour même de mon réveil, le médecin s’était entretenu avec moi, seul à seul. J’étais resté dans le coma deux mois. Trois jours après, j’avais eu un entretien avec une psychologue. Nous avions discuté de cet étrange rêve, que j’avais cru réalité. Pour me protéger, j’avais poursuivi une vie, ma vie. Nous avions parlé de cette sensation. Elle n’était pas anodine. À chaque fois que je l’avais ressenti, j’étais sur le point de me réveiller. Ceux qui m'avaient entouré lors de cette sensation l’avaient eux aussi vu. J’avais été comme en phase de réveil.


Ce qui me fit le plus sourire dans mon retour à la réalité, fut le carnet où mon mari avait retranscrit mes sursauts, dans son monde, qui collaient parfaitement avec ce que j’avais ressenti, avec cette sensation.

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