MR. CRAPTEL
Je venais à peine d'entrer dans la maison que la femme de Mr Craptel s'affairait dans la cuisine. Je sentais déjà la bonne odeur de chocolat chaud et de thé à l'orange. Je l'entendais ouvrir des tiroirs puis enfin un petit paquet de biscuits qu'elle étalait sur une assiette.
Je trouvais place contre la fenêtre pour observer la vue. La Tour Eiffel brillait de mille étoiles et la lune comblait le manque de soleil. Par la suite, je prenais place sur le canapé, posant mon chapeau sur mes genoux. Pendant la minute qui suivait, j'avais déjà compris que ma venue était une erreur.
La femme de Mr Craptel entrait avec un petit plateau. Elle le posait sur la table basse et m'invitait du regard à prendre un bout. Tandis que ma main choisissais naturellement le biscuit le plus petit, j'invitais la femme à s'asseoir. Elle prit une expression étonnée et remplit de terreur à la fois. Elle s'était assise en face de moi, se gardant bien une distance.
Quand arrivera votre mari ?
Dans quelques instants. Veuillez l'excuser pour son retard.
Quel est votre nom ?
Julianne.
Ce prénom résonnait dans ma tête comme un écho. Elle sortait de sous un édredon, repliait sur elle, sa main. Sa blancheur me frappa, quelques égratignures par-ci, par-là. Lorsqu'elle prit la tasse de thé, je remarquais la légère inclinaison d'un de ses doigts. Il fut, j'en déduis, cassé autrefois. Ses mains tremblaient.
Le silence se brisa et Mr Craptel entra d'un pas lourd. Des morceaux de la tasse jonchaient le sol. Le liquide fuyait à travers les rainures des carreaux. Je levais la tête vers Mme Craptel. Son visage exprimait la confusion. Elle posait l’édredon en boule et se levait.
Je... je vais nettoyer. Pardonnez-moi.
Dépêche-toi ! Où est mon repas ?
Je regardais la scène, impuissant. Je me levais par la suite, prêt à l'aider mais Mr Craptel me coupa dans mon élan. Il s'appropria l'assiette de biscuit en me scrutant. Je reprenais place assise, intimidé par son regard.
Par quoi est-ce qu'on commence ?
Je m'inquiet de sa question et pris la position la plus à l'aise.
Votre fils, monsieur, à...
Qu'est-ce qu'il fou là ?
Je comprenais, de sa façon de parler, de réagir, que c'était un homme violant. Julianne...
Comme je disais, votre fils a décidé de léguer tous ses biens à votre femme.
Et moi ?!
Je me suis posé la même question, croyez-moi. Vous n'êtes pourtant cité nul part.
Il poussait le pire soupire que je n'ai entendu de ma vie. Julianne revenait peu après la révélation. Elle avait tout entendu, je le savais, je le sentais. Elle essuyait le sol de son torchon et nos regards se croisèrent. Nous nous étions compris. Elle baissait les yeux dans le but de finir sa tâche. Je levais le regard vers Mr Craptel qui haussait les épaules. Il reposait l'assiette vide.
Tu m'as oublié ! Tu feras mon repas préférée demain. Et m'oublie pas cette fois !
Ils se levèrent en même temps. Il lui baisa la bouche violemment et elle répondit par un sourire maladroit. Si je venais à peine d'entrer dans le salon, j'aurais pu jurer qu'elle avait du mal à montrer ses sentiments. Mr Craptel sortit de la salle et nous nous retrouvions seuls.
Que vous a t-il fait ?
Son regard se troubla et une goutte amer s'en échappa. Ses yeux fuirent par la suite les miens.
Vous voulez de mon aide. Julianne, regardez-moi. Que vous a t-il fait ?
Robert est un monstre. Il me bat, me... me viole. Je suis sa fille ! Vous vous rendez compte ? Chuchotait-elle.
Entre temps, elle avait contourné la table et sanglotait à chaque mot. Elle me serrait de ses bras pour étouffer ses sentiments contre mon épaule.
Préparez tout ce que vous pouvez. Je vous attends.
Mr Craptel ronflait à en faire trembler la maison. Elle n'avait eu aucun mal pour charger ses valises de tout et n'importe quoi. Lorsqu'elle revint, son visage était parsemé de gouttes.
Je doute y arriver.
Battez-vous pour vous Julianne, non pour les autres.
Je prenais ses valises pendant qu'elle ouvrait la porte. Sa liberté était si proche et éloignait à la fois. Elle hésitait devant l'interdit. Je lui pris le bras.
Vous direz que je vous ai kidnappé. Venez avec moi.
Elle hochait lentement la tête et poussa un peu plus la porte. Elle passa devant moi et nous nous enfuyons pour son plus grand bonheur.