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FRANCK


Je traverse la route après avoir regardé à gauche, à droite puis à gauche. Un petit geste qui peut sauver des vies.

Je me rends jusqu'à chez moi, mes cours viennent de se terminer. Je peux enfin respirer. Ma mère travaille encore, inutile que je l'embête pour qu'elle vienne me chercher alors qu'elle se bagarre tôt le matin jusqu'à tard le soir pour nous garder en vie. J'ai deux frères et une sœur, j'en suis l'aînée et je le regrette. J'ai longtemps vu cet homme abuser de ma mère à plusieurs reprises. Mais son sang coule dans mes veines. Je l'ai répugné depuis que mon premier frère est né. J'avais cinq ans, l'âge parfait pour comprendre. Et lorsque ma sœur est née, je l'ai mis dehors, sans remords. Alors je me bats avec ma mère pour l'aider. J'ai trouvé un travail dans un magasin "bazar".

Je longe la route qui sépare deux villes. Presque personne ne roule ici. Il y est des bosses et des creux partout. Elle est peut-être plus longue que la route principale mais je m'y sens plus en sécurité.

Un camion me suit aujourd'hui, j'espère qu'il roule lentement à cause de l'état de la route. J'ai affreusement peur de me faire violer, séquestrer, kidnapper, torturer ou pire, me faire tuer dans d'atroces souffrances. Je m'écarte de la route pour rentrer sur les terrains cultivés des agriculteurs par méfiance. Le camion s'arrête alors. Je précipite le pas mais ce qui s'ensuit est trop brusque. Je me fais chopper par le col, tirée en arrière et assommée avec je ne sais quoi.

Je me réveille avec un mal de crâne énorme. Je me redresse dans le noir tandis que le sol vibre. Et ça tourne, et ça freine, et ça accélère. Suis-je dans le camion ? Je m'adosse contre une paroi. Dois-je restée calme ou crier ? Je commence à trembler, de peur, de froid. Mes dents claquent toutes seules, sans que je n'arrive à les arrêter. Les larmes tombent les unes après les autres. L'angoisse me prend peu à peu. Je donne des coups de pieds, je cris. Une voix me vient aux oreilles, elle résonne. Elle est près de moi, enfin, il, c'est un homme.

Plus il y a de virages et plus je sais que je m'éloigne de chez moi. Je me calme, j’attends dans la peur. Le trajet semble interminable. Le temps long.

Lorsque le camion s'arrête pour de bon, j'ai perdu toute notion. J'essaie de me cacher en vain. L'homme ouvre la porte. Il est beaucoup plus vieux que dans mes souvenirs, barbu, des cernes sous les yeux, des rides. On dirait qu'il a pris quarante ans de plus.

Cet homme, c'est mon père.

Il me fait sortir de ma séquestration pour une autre cachette pendant que je suis aveuglée par le soleil. Il m'emmène dans sa cave, en dessous de son chalet. Je passe la moitié de ma vie dedans. Nourris une fois par jour et encore, toiletté une fois par semaine, mes besoins sont précautionneusement dans un coin de la cave et l'odeur en devient mon amie, parfois oublié, parfois renouveau quand cet homme venait me voir. Le seul bonheur que j'ai dans cette vie, c'est que cet homme a peur de me toucher, mais moi, non. On me retrouve sept ans plus tard, amaigri, sauvage, sale, muette, désorientée, tétanisée. L'homme qui m'avait gardé en secret est mort la veille. Tant mieux, il ne me soûlera plus ainsi que ma famille. En parlant d'elle, je la retrouve, plus âgé bien évidemment. Elle me redonne le sourire peu à peu. De toute façon, je suis une femme forte. Je reprends mes études et je suis suivie par un psychologue. Je réapprends les joies de revivre comme une personne normale.

Mais au fond, je suis blessée, je n'ai jamais oublié ce qu'a fait cet homme. Immonde revanche pour détruire ma mère, il n'aura jamais réussi, elle aussi est forte. Je suis née dans les bras de ma mère et elle mourra de vieillesse dans mes bras, aucun autre.

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